Ambiance de lecture recommandée
You’ve Got A Friend de Phil Upchurch
● Lors de la PARTIE IV de notre revue d’Égypte, nous avons découvert l’Hurgada des Égyptiens, de nuit, entre une boutique de bijoux et une critique amère vis-à-vis du tourisme. Dans cette cinquième et dernière partie de cette Revue d’Égypte, je vous propose d’assister à quelques rituels sacrés et de partager un repas, digne des anciens rois.
PARTIE V ● moments sacrés, mal du pays et iftar
« Es-tu égyptienne ? » Cette question m’est désormais familière. Peut-être est-elle due à mes salam alekum* ou bien à ma couleur de peau. Lorsqu’en Europe, on me demande d’où je viens — sous-entendue de quelle destination exotique j’émerge -, en Égypte on me demande si je viens d’ici.
« Un endroit sacré »
Ibrahim me propose — et Hussein me le confirme – que la prochaine fois que je viendrai, ils m’emmèneront dans un de ces endroits dans le désert que seuls les initiés connaissent. « On te plonge dans l’eau qui a servi à nettoyer les organes des pharaons avant leur momification. C’est un endroit sacré. »
Sur la promenade sur laquelle se retrouvent tous les soirs parents, enfants, jeunes, moins jeunes, policiers et mendiants d’Hurgada, Ibrahim me montre une partie des couleurs de son Égypte. « Ce sont les lumières pour le ramadan. Et tu vois, elles sont là les Égyptiennes. Dans les hôtels, il n’y en n’a pas. Il ne te manque plus que des habits typiques et tu passerais totalement inaperçue. » Assis sur ce qui semble à la fois servir de pot à fleurs, de banc et de poubelle, nous observons les petites filles qui quêtent en faisant des yeux de chien battu et les enfants qui investissent le monde de leurs pas ingénus. Tout est en arabe : les enseignes, les paroles, les gens, l’air, les touristes inexistants à l’horizon. Mon appareil photo est la seule identité remarquable.
Avant de quitter les rues chamarrées d’Hurghada, Ibrahim tient à m’offrir « un sucre ». Au fond d’une petite boutique, pas plus grande qu’un placard, il soulève un rideau pour me montrer la mécanique : une canne à sucre est passée dans une machine et de l’autre côté, un petit récipient, récupère le sucre liquéfié. En buvant ma boisson, j’avais l’impression d’effectuer un rituel de plus, afin de marquer doucement mon premier voyage en Égypte.


Le sucre et une petite Égyptienne (Hurgada Promenade)
« On s’ennuie ici »
La mer, c’est ce qu’Hussein préfère en l’Égypte. « Tout le monde pense que nous avons la belle vie. Mais ce n’est pas vrai. On ne fait que travailler, travailler, travailler. » Avec le manque cruel de touristes, ils n’ont plus ni congés ni weekends. Les Allemands claquettes-chaussettes, Suisses en carte Gold et Français en « français uniquement please » qui remplissaient jadis le paysage économique touristique sont pour la plupart encore confinés au moment où j’entreprends mon voyage. Le quotidien d’Hussein et de ses collègues se résume à alpaguer le peu de passants, ou, à l’image d’Ibrahim, à rester assis sur la banquette du Douglas Palace en espérant que fortune soit bonne. Un des jeunes hommes qui travaille au Douglas Palace, photographe de profession, me confie qu’il n’apprécie pas ce job. « C’est hyper fatigant pour moi. Mais c’est mon manger. Normalement, je passe mes journées dans un studio à faire des photos de femmes Russes en maillot de bain. »
Outre la mer Rouge qui est d’un bleu éclatant, Hussein aime le peuple duquel il fait partie, « parce qu’on sait, partout où on va, si telle personne est bien ou si telle personne est mauvaise. On sait quelle famille est bien et pourquoi et quelle famille est mauvaise et pourquoi. » Pour lui, l’Égypte est claire et honnête, surtout au Caire. Cependant, « Les Égyptiens d’Hurghada sont à l’image de la ville : faux. » Lui et Ibrahim témoignent d’un vrai mal du pays. Comme la majorité des personnes qui travaillent à Hurghada, ils viennent de Gizeh, « des pyramides ». « On s’ennuie ici. Il n’y a que quatre rues : celle de l’aéroport, celle des hôtels, celle des magasins et celle où habitent les gens. »



Le tourisme, un business quasiment exclusivement masculin.
« Made with love »
Sur un banc de la Hurgada Promenade, devant le Douglas Palace, je discute avec Ibrahim qui, au lieu de rester travailler à l’intérieur, préfère partager l’instant avec moi. « Mes chefs ne pensent qu’à l’argent, l’argent, l’argent, l’argent. Mais moi, je suis leur aîné alors, ils m’écoutent quand même. » Entre l’allemand, le français, quelques balbutiements d’arabe, je me chamaille avec les jeunes vendeurs. Nous attendons 18 h 14, heure de l’iftar, le moment où le jeûne quotidien du ramadan est rompu. Ibrahim m’explique que c’est « une façon de se rendre humble, de se mettre à la place de ceux qui n’ont pas à manger ».
Le muezzin* annonce que le soleil est suffisamment bas. Une jarre en terre cuite remplie d’eau fraîche passe de mains en mains. Ce n’est pas très covid friendly, mais qu’est ce qui prime dans un « pays pauvre » (mots d’Hussein, d’Hassan et d’Ibrahim) : les traditions ancestrales qui ancrent les hommes et les femmes à leur pays ou bien le respect inconditionnel des règles d’hygiène qui ne peuvent être objectivement respectées quand, déjà, il n’y a pas d’accès à d’eau potable ?
Après avoir partagé l’eau, nous mangeons des dattes sèches puis le repas arrive en taxis. Des tables sont installées dehors. Je suis invitée à m’asseoir confortablement sur un fauteuil, en face d’Ibrahim et de l’amoncellement d’épices derrière lui. Me voilà à casser le jeûne avec une joyeuse bande d’hommes musulmans, moi la femme occidentale, non voilée, de culture catholique. Je me confonds en shukran*. Le propriétaire de la boutique me dit nonchalamment en pointant mon bras : « c’est normal. Nous avons le même sang. Nous faisons partie de la même famille. Tu es comme une sœur pour nous ». Tandis que je me remplis l’estomac, le cœur et l’esprit de ce moment, Félix, un des jeunes vendeurs, qui aime s’écrier « mon chéri vache kiri » à tous les francophones qu’il croise, m’explique que tous les soirs, une de leurs amies prépare le repas de l’iftar, « made with love ». Une fois les panses lourdes, on se lave les mains, la bouche et le visage. Mes camarades vont prier à l’intérieur du magasin puis réinstallent les tapis, les tables : la journée de travail se termine à 23 h.



L’Iftar au Douglas Palace
Je discute avec les uns et les autres, photographie, me laisse photographier, le thé aux dattes garde mon organisme éveillé. Il y a encore tant et tant de détails à partager. Parfois, lorsqu’il s’agit de rencontres inédites, la parole se tait. Bien que mes souvenirs continuent de bouillonner, je souhaite simplement dire Hamdoulilah ●

Portrait de moi devant la Pyramide de Khéops, pris par des touristes Roumaines rencontrées lors du voyage au Caire (Gizeh)
LEXIQUE : *Salam alekum : signifie « bonjour » en arabe / *Muezzin : religieux musulman qui appel à la prière / *Shukran : signifie « merci » en arabe / *Hamdoulilah : signifie « grâce à Dieu » en arabe





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