Ambiance de lecture recommandée
Walk Like an Egyptian de The Bangles
● Lors de la PARTIE III de notre revue d’Egypte, nous avons ressenti un peu de ce pays à travers quelques symboles sacrés, des chakras aux hiéroglyphes. Dans cette quatrième partie, toujours en compagnie d’Ibrahim, je vous propose de vous glisser dans l’envers du décor des commerces touristiques. De pain quotidien au capitalisme à l’excès, Hussein, nouvellement rencontré, nous ouvre les portes de « son » Egypte.
PARTIE IV ● techniques commerciales et RELIGION-MAGASIN
Ce matin, je retrouve Ibrahim dans le Douglas Palace après qu’il a rompu son jeûne. Cette fois, la banquette en velours rouge n’est pas vide. Une mère et son fils mexicains sont lancés dans la machine infernale du commerce a l’égyptienne. Mon professeur inattendu me fait signe de m’asseoir à côté de lui et d’observer.
« Prix d’ami »
Commencer par cerner les besoins de la personne (qu’ils soient matériels et/ou psychologiques), proposer des senteurs et des huiles en accord avec ces besoins (vu la mosaïque de flacons, il y’en a pour tout le monde), même si la personne dit clairement qu’elle ne veut rien acheter, faire quand même essayer le produit (« juste pour voir »), déceler l’intérêt s’allumer dans les pupilles, chopper l’opportunité au vol, proposer un « prix d’ami », faire empaqueter des litres d’huiles puis, observer dans ces mêmes pupilles le mélange de fascination-incompréhension-frustration-joie. Une sorte de poker de l’achat.
Les vendeurs sont à la fois amuseurs touristiques incontournables – souvent considérés comme des charlatans à en entendre les intonations des clients face aux prix – et pourtant : ces parfums sont l’essence irrégulière de leurs vies, une source de revenus unique qui dépend des effluves touristiques. Ibrahim, déroule pour moi une partie de sa généalogie économique, afin de m’expliquer pourquoi, à soixante ans passés, il vend des parfums. « Une des conséquences de la révolution de 2011 a été la perte de mes deux restaurants. Au lieu d’avoir avancé de dix ans, aujourd’hui, j’ai reculé de dix ans. Avant, j’étais le chef ; désormais, j’ai des chefs. »


Au Douglas Palace (Hurgada Promenade) en compagnie d’Ibrahim
« À l’ouïe »
Un couple polonais est également en pleine négociation avec un autre vendeur. Même schéma : la table basse, le thé aux dattes, l’Egyptien polyglotte. L’anglais, l’allemand et le russe s’entremêlent des langues aux oreilles. « On apprend avec les gens, au fur et à mesure, à l’ouïe. » D’ailleurs, c’est dans nos allemands les plus rudimentairement efficaces que nous conversons, les vendeurs du Douglas Palace et moi. Tandis qu’Ibrahim continue ses palabres commerciales, j’en profite pour prendre des photos. Je me demande si le côté oriental est authentique. Peut-être a-t-il spécialement été conçu pour les touristes occidentaux, surfant sur l’imaginaire oriental développé dans l’Europe du XVIIIe siècle, avec les débuts de l’égyptologie et la traduction des Contes des mille et une nuits.
Une fois la mère et son fils partis dans un concert de salutations anglo-hispaniques, Ibrahim m’explique que d’habitude ce sont les jeunes vendeurs qui prennent en charge les touristes pour les sorties nocturnes dans Hurghada. Ils se chargent de héler les taxis et de les emmener faire du shopping. « C’est la première fois que je demande à accompagner quelqu’un. » Là encore, il lui aura fallu négocier, mais, avec ses chefs. Il me confie que ses supérieurs sont réticents à l’idée à me laisser seule avec lui dans les quartiers non touristiques de la ville. Ainsi, Hussein, petit frère du propriétaire de la boutique, nous accompagne.


Les autres vendeurs du Douglas Palace (Hurgada Promenade)
« La vraie Egypte »
Après avoir dîné à l’hôtel, je rejoins Ibrahim et Hussein dans la voiture qui m’attend devant l’hôtel. Il est envion 21 h. La promenade rayonne sous les lampadaires. Nous roulons une dizaine de minutes jusqu’au centre-ville. Premier arrêt : la boutique de bijoux « où vont très peu de touristes et beaucoup d’Egyptiens. » Dans la rue, les enseignes lumineuses, au lieu d’être en anglais ou en russe*, sont en arabe. « C’est comme ça qu’on peut distinguer la vraie Egypte » (tels sont les mots de Hussein), de celle des brochures de voyage.
Les néons éclairent la rue qui s’anime autour de nous. Assis sur des chaises en plastique blanc sur le pas de la boutique, je tente tant mal que bien de ne pas montrer que je me brûle la trachée avec le thé offert par le gérant de la joaillerie. Hussein m’explique que les resorts* sont des paradis artificiels créés pour que les Européens profitent de la plage et du soleil sans rien sentir du pays. « Les circuits touristiques ne sont que des magasins. Il n’y a aucune signification. C’est vide d’âme. Même aller voir les pyramides ce n’est que du magasin, du shopping encore une fois. » Pour vraiment apprécier l’Egypte dans toute son authenticité, il faudrait que je reste au moins quatre jours au Caire, puis faire les sept heures de voiture jusqu’à Louxor, la vallée des rois, célèbre pour ses tombeaux pharaoniques monumentaux. Dans le trajet retour à Hurgadada Promenade, les lumières de la ville défilent. « Même la religion est devenue un magasin » se lasse Hussein.
Le paradoxe entre tourisme de masse et authenticité palpable réside dans ma posture même. Je retranscris le témoignage d’Hussein, assise sur la plage, observant les autres touristes matinaux suer sur des airs de zumba, sourire sur des selfies les pieds dans l’eau, tandis que les serveurs égyptiens font leur ronde quotidienne de ramassage des déchets. Un paradis artificiel où pas un mégot ne traine avant la prise de possession des lieux par les hordes d’Occidentaux ●


Chamelier sur Hurgada Promenade, lieu de de « résidence » des touristes


Centre-ville de Hurgada de nuit
*Russe : il y a une majorité de Russes en Egypte depuis 2005, « une destination peu chère pour eux », m’explique Hussein / *Resorts : complexes hôteliers avec plages privatisées, spa, centre de shopping, etc.





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